Un projet pour la jeunesse. François Hollande
Un discours de vérité. C’est ce que prône François Hollande, député socialiste de Corrèze et candidat aux primaires qui sélectionneront le candidat à la présidentielle de 2012. Sur les retraites, l’ancien premier secrétaire du PS se démarque d’une partie de la gauche, qui conteste le constat alarmant du Conseil d’orientation des retraites (COR). Sur l’état du pays, il prévient : ” Nous n’avons pas pris la mesure de la gravité du choc économique. ” A Martine Aubry, qui veut développer ” la société du bien-être “, il répond : ” On ne vit pas dans un monde édulcoré. “ En 2012, ajoute-t-il, le PS devra se concentrer sur quelques priorités – l’éducation, l’emploi, l’écologie – et redonner espoir aux jeunes.
Dans une récente tribune au “Monde”, Martine Aubry met en garde le gouvernement contre la tentation de “dramatiser” le débat sur les retraites. Partagez-vous son point de vue ? Considérez-vous les chiffres du Conseil d’orientation des retraites comme sujets à caution ?
Le Conseil d’orientation des retraites, c’est le gouvernement Jospin qui l’a mis en place. Je ne suggère donc pas de casser le baromètre sous prétexte qu’il annonce du mauvais temps. Bien sûr, je me demande moi aussi s’il est sérieux de se projeter aussi loin, en 2050. Il aurait mieux valu s’arrêter à 2020, voire à 2030. Mais sur le fond, cela ne change rien : la situation est grave, nous sommes confrontés à un déficit structurel lié à la faiblesse de la croissance, à l’arrivée à la retraite des générations nombreuses et à l’allongement de la vie. Quoi que ce gouvernement décide, il ne résorbera pas le déficit d’un seul coup. Il n’y aura pas de grand soir des retraites. Et sa prétention à en faire la grande réforme du quinquennat tient une nouvelle fois de l’illusion. Le financement des retraites concerne aussi bien la gauche que la droite. Il restera devant nous. C’est la raison pour laquelle je plaide pour un rendez-vous tous les cinq ans.
Une partie de la gauche et du PS estime que tout peut se régler par des prélèvements nouveaux. Martine Aubry relaie leur argument en jugeant urgent de trouver de ” nouvelles ressources “. Et vous ?
Oui, de nouvelles ressources sont nécessaires, notamment sur les revenus du capital et les bénéfices des banques. De même convient-il d’élargir l’assiette des cotisations à l’intéressement, à la participation et aux stock-options. Mais il n’existe pas des recettes miracles qui nous dispenseraient d’un effort contributif et productif pour préserver le niveau des pensions.
Il faut avoir conscience d’une chose : avec le niveau actuel du déficit public – plus de 8 % du PIB – les prélèvements que nous lèverons là, nous ne les mettrons pas ailleurs ! C’est pourquoi l’avenir des retraites ne peut se résoudre uniquement par l’impôt. Ne commettons pas la même erreur que celle du gouvernement, qui ne veut jouer que sur un seul paramètre : l’allongement de la durée de cotisation !
Pourquoi le PS tient-il à la défense de la retraite à 60 ans ?
Revenir sur ce principe infligerait une double peine aux salariés qui ont commencé à travailler tôt : ils seraient obligés de cotiser plus longtemps et pour une espérance de vie à la retraite plus courte. Ce serait aggraver l’injustice de notre système. La bonne position consiste à conserver l’âge de départ à 60 ans comme un droit, mais à adapter la durée de cotisation en fonction de l’allongement de l’espérance de vie et de la pénibilité. Si nous vivons plus longtemps, nous travaillerons plus longtemps.
Vos solutions sont proches de celles de Manuel Valls qui, comme Alain Juppé, plaide pour une union nationale sur le sujet.
Evitons les grands mots ! Sur ce sujet comme sur d’autres, il existe des différences entre la gauche et la droite. Mais cela n’exclut pas de faire preuve de responsabilité. Dans une société vieillissante, il faut arrêter d’arbitrer systématiquement en défaveur des jeunes. L’enjeu de 2012, c’est de leur donner toute leur place.
Que voulez-vous dire ?
Une élection ne se gagne pas clan contre clan, dans la stigmatisation, mais sur un thème fédérateur qui réconcilie les Français. Les classes moyennes et populaires ne retrouveront confiance dans la politique que si nous parvenons à leur démontrer que nous assurerons un avenir à leurs enfants. Si nous ne le faisons pas, c’est une explosion qui se prépare, pas seulement dans les banlieues et les quartiers. Une génération qui a fait des études, obtenu des diplômes et ne parvient ni à travailler, ni à s’installer, ni à se loger c’est insupportable. C’est ce qui explique cette défiance persistante à l’égard des décideurs, ce très haut niveau de pessimisme propre à la France. La jeunesse doit être notre projet. C’est pourquoi je lance l’idée d’un nouveau contrat de travail de cinq ans qui organisera un partenariat entre un jeune et un senior, un entrant et un futur sortant.
Martine Aubry défend un nouveau concept : la société du ” care “, autrement dit du bien-être, où chacun se soucie l’un de l’autre. Est-ce une façon de dépasser le débat sur les retraites ou de noyer le poisson ?
Disons d’accompagner le débat. La gauche a raison d’affirmer des valeurs collectives contre la marchandisation de la société et l’individualisme forcené. Tout ne peut pas être assuré par l’Etat, ou relever de la loi, nous sommes individuellement comptables de la façon dont fonctionne une société.
En même temps, je me méfie des slogans. On ne vit pas dans un monde édulcoré. Les marchés financiers ne sont pas des Bisounours. Les rapports de force existent. On n’a pas encore pris la mesure de la gravité du choc économique que nous vivons. Le centre de gravité du monde s’est déplacé vers la Chine et l’Inde. L’Europe est en état de faiblesse. Contrairement à ce que nous espérions, le marché n’a pas été mis en situation de faiblesse par la crise financière. Bien au contraire, il se venge contre les Etats. Ce qu’on attend des socialistes, c’est qu’ils énoncent clairement leurs choix. Et qu’ils puissent les traduire concrètement.
Dominique de Villepin, Alain Juppé sont en train de doubler Nicolas Sarkozy sur sa gauche. Ils prônent, comme vous, la réforme fiscale et l’égalité républicaine. Cela n’incite-t-il pas la gauche à gauchir son discours ?
Nicolas Sarkozy aura au moins eu une utilité : les valeurs républicaines sont à la hausse. Il aura fait la démonstration que l’argent, la confusion des genres, la réussite qui n’est pas forcément le mérite ne peuvent servir d’horizon, surtout dans une période de crise. Je me réjouis que cette lucidité touche une partie de la droite. Elle ne doit pas nous conduire à céder à la surenchère ou à en ajouter, sinon gare aux déconvenues. Nous hériterons en 2012 d’une situation comme jamais la gauche n’en a connue : faible croissance, endettement record et compétitivité dégradée. C’est un quinquennat de redressement qu’il nous faut préparer.
Porter un discours sur les efforts à consentir, est-ce vraiment populaire ?
Ma démarche ne consiste pas à annoncer de la sueur, du sang et des larmes, mais à indiquer le chemin d’un espoir crédible. Pour gagner, nous n’avons pas besoin d’en promettre tant et plus. Nul n’y croirait, pas même les éventuels bénéficiaires. Nous devons donner du sens, annoncer trois ou quatre priorités : éducation, emploi, écologie, et surtout dire comment nous les financerons. La réforme fiscale est la condition de toutes les autres.
Avez-vous le sentiment que les débats engagés au sein du PS vont dans cette direction ?
N’évacuons pas les choix difficiles, ils nous reviendraient en boomerang.
Etes-vous prêt à une confrontation personnelle avec Martine Aubry sur ce sujet ?
Je suis, par les fonctions que j’ai exercées, attaché plus qu’aucun autre à l’unité du PS, mais elle ne doit pas être une facilité pour ne pas débattre des défis qui nous attendent. Il s’agit d’établir un socle commun entre nous. Ensuite, les primaires permettront non seulement de choisir notre candidat, mais de faire prévaloir une orientation et une méthode.
La gauche a-t-elle vraiment le temps de dépasser ses divergences pour construire un projet crédible en deux ans ?
Oui, mais à la condition que ce travail soit mené dès maintenant pour être réglé à temps. Nos partenaires, ce sont d’abord les écologistes. Parce qu’ils existent et parce qu’ils le veulent. Qu’ils décident ou non de présenter un candidat, un contrat de gouvernement devra être conclu avec eux avant même que la campagne présidentielle ne s’engage. Ça vaut aussi pour le Front de gauche. Cela suppose que chacun fasse rapidement la clarté sur son propre leadership et son organisation. Je ne crois pas à la possibilité de formaliser les convergences dans le tumulte de l’élection présidentielle, et je n’imagine pas la situation où il faudrait négocier des engagements fondamentaux pour le pays entre les deux tours.
Le calendrier tel qu’il se dessine au PS prévoit des primaires en octobre 2011. Cela vous convient-il ?
Non. Je ne sais qui il protège, mais je vois qui il affaiblit ; en l’occurrence notre candidat. Le meilleur calendrier, c’est juin 2011. Il permet de donner à celui ou à celle qui sera choisi le temps de rassembler les socialistes, de préparer la coalition majoritaire et de convaincre les Français. Rien que cela !
A droite, qui voyez-vous en 2012 ?
Je n’exclus plus que Nicolas Sarkozy soit contraint à renoncer. Son système est épuisé et les fondamentaux qui avaient fait son succès en 2007 se sont fissurés.
Je suis frappé par l’analogie entre la fin du giscardisme et celle du sarkozysme. Tous les deux avaient brandi la rupture, brisé des codes, pratiqué l’ouverture. Tous les deux ont été bousculés par la crise et ont connu cette dérive monarchique avec des entourages qui ont fini par se détruire de l’intérieur. Mais la victoire ne se construit pas sur une décomposition. C’est une force qui se lève pour faire mouvement.
Propos recueillis par Françoise Fressoz et Jean-Michel Normand