The Spirit Level : Le livre qui réconcilie le socialisme et l’anglais.
La parution de la convention nationale sur l’égalité réelle n’a pour l’instant pas réussi à susciter le débat espéré dans l’opinion en préparation des échéances électorales majeures qui nous attendent durant les deux années à venir. Taxée de gauchisme par la majorité et inégalement relayée dans les médias, cette convention marque pourtant une rupture lexicale qu’il ne s’agit ni de craindre ni de sous estimer. On a émis des doutes quant à la nature et au degré de cette égalité revendiquée, les habituels commentateurs, inspirés lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts qui les financent, en ont profité pour nier une fois de plus l’existence même de ce besoin le rejetant au rang de relique.
C’est que le terme d’égalité a de quoi faire grincer les dents des biens pensants du libéralisme. Il est historiquement associé, dans le vocabulaire politique occidental, au projet idéologique de la gauche extrême, celle de l’Internationale. Traditionnellement portée par un parti communiste, dont les accointances soviétiques témoignaient d’une conception douteuse de la juste solidarité, cette révolution égalitaire n’était pas souhaitée par une majorité de la population. Face aux égalitaristes radicaux, les progressistes de tous bords à travers l’Europe, et en particulier les socio-démocrates dont nous portons l’héritage, lui préféraient le terme, étymologiquement très proche, d’équité. Plus nuancé, il semblait mieux résumer leurs modes d’action réformistes et leur souhait de redistribuer les richesses sans trop impacter la sphère économique dans une période ou celle-ci, participant déjà lourdement à l’édification d’un système protecteur, constituait dans le même temps, par l’effort collectif, le moteur du développement. 20 ans après la dissolution subite, puis l’isolement progressif des partis et des idéaux communistes à travers l’Europe et jusqu’en France, où ils étaient peut être les mieux implantés du monde libre, le flambeau de l’égalité est resté dans l’inconscient collectif occidental associé à la redistribution soviétique devenue spoliation et gaspillage, à la bureaucratie paralysante des nomenklaturas, à l’endoctrinement des masses et à leur exploitation sur le mode stakhanovien, bref à l’utopie pervertie.
Or avec le passage spectaculaire de la Chine à l’économie de marché et la scission du bloc soviétique ce cauchemar de l’égalité fantasmée semblait enfin pouvoir se dissiper, et le terme, si porteur de sens depuis les Lumières, être en mesure de s’émanciper du lot de conséquences malheureuses qu’on lui attribuait. C’était méconnaître le fait que la peur de la maladie subsiste chez le patient bien après la guérison, et ce, par un concours de circonstances malheureuses, au bénéfice de ceux qui voient leur intérêt dans la désacralisation du premier principe républicain.
Depuis les années 90 en Occident, l’utilisation d’un simple indice statistique aisément manipulable, le coefficient de Gini, permet de constater une tendance accentuée à l’accroissement des écarts de richesses entre les différents groupes sociaux. Le plus étonnant étant que cet accroissement des inégalités coïncide avec une période de résorption générale de la croissance dans les économies développées. Tout se passe comme si, le lac des économies occidentales n’étant plus irrigué par les taux de croissances à deux chiffres des 30 glorieuses, les flux de redistribution devaient se tarir et, le système devenu stagnant, les richesses se concentrer en une vase malodorante.
La présidence actuelle en est le facteur de conscientisation. Il s’agit désormais de nous réapproprier le projet fédérateur de l’égalité en lui donnant un sens moderne, acceptable par la majorité démocratique et adapté à nos besoins.
« Avec plus d’égalité la société sera plus performante, plus productive et nous permettra d’aller encore plus loin »
Un ouvrage vient participer à cette réhabilitation inespèrée. Il ne s’agit ni d’un réquisitoire d’idéologues inspirés, ni du projet d’une nouvelle utopie, mais d’un travail de recherche, de traitement de données et d’analyse rigoureusement mené par deux chercheurs anglo-saxons en épidémiologie que l’on ne saurait suspecter de prosélytisme bolchévique. Appuyant son propos sur un vaste échantillon de données qui n’attendaient qu’à être mobilisées par les acteurs du débat publique, issues des travaux de plus de 50 groupes de chercheurs reconnus et des principales organisations internationales, cette étude vient corroborer en termes scientifiques l’intuition du bon sens, pourtant depuis 30 ans écartée d’un revers de mains par l’orthodoxie néo-libérale triomphante, selon laquelle plus une société est équitable dans la redistribution des revenus qu’elle génère et plus elle tend, par l’effet d’un cycle social vertueux, à en générer. Cette réalité, paradoxalement plus observable dans les pays de l’OCDE durant la guerre froide que dans les pays qui se réclamaient de l’égalité souveraine, n’a cessé, suite aux vagues de crises endémiques qu’ont rencontrées les économies développées, d’être érodée par la dérégulation sauvage et le désengagement de l’état. Le culte de la richesse et le discours sécuritaire ont proliféré, comme cause et effet du même problème, sur les défaillances d’un système social amputé. Relayés en masse aux téléspectateurs, par les groupes d’infotainement – ce mélange d’information et d’entertainement censé attirer l’audimat, qui l’a bien plutôt fait fuir les tubes cathodiques – ces thèmes électoraux ont d’abord réussi à séduire une partie suffisante de la population. La recette aura marché 19 ans, malgré une heureuse parenthèse de cohabitation performante. Aujourd’hui ces thèmes électoraux ne peuvent plus dissimuler leur vacuité et ceux qui les soutenaient, leur cynisme. Malheureusement, les principales victimes de leur entêtement se trouve n’être autre que les urnes que les citoyens désertent de plus en plus faute d’espoir.
« L’égalité réelle est la véritable crédibilité des socialistes aujourd’hui »
En ces temps de crise et de rigueur, alors que la nécessité d’un projet de société juste, viable et efficace, se fait de plus en plus urgente, The Spirit Level, sous titré Pourquoi l’égalité est meilleure pour tout le monde rappelle opportunément, à ceux qui veulent croire en cette convention et en notre possibilité de mobiliser et de réformer le pays, que la balle du pragmatisme est plus que jamais dans le camps de la gauche, du côté de ceux qui reconnaissent la nécessité de redistribuer non pas seulement des flux monétaires mais simultanément de la qualité de vie pour notre performance commune. Ce n’est qu’en le réalisant pleinement et en le défendant avec pertinence que le politique pourra ramener les citoyens déçus aux urnes. D’ici là, espérons que la droite ne les en aura pas définitivement dissuadé.